Historia Mundum

Concert européen : Les Alliances, Congrès & Guerres

Il s'agit d'une peinture historique élaborée dépeignant le Congrès de Paris en 1856, marquant la fin de la Guerre de Crimée. Elle représente une salle somptueuse avec un décor opulent, incluant des lustres ornés, des draperies riches et un buste classique. Un groupe d'hommes vêtus à la mode du XIXe siècle, comprenant des uniformes militaires décorés de médailles et d'écharpes, ainsi que des vêtements civils formels, sont engagés dans la discussion et la négociation autour d'une table centrale recouverte d'un tissu vert foncé. La table est garnie d'encriers, de plumes et de documents, suggérant l'importance des discussions diplomatiques en cours. Certains hommes sont debout tandis que d'autres sont assis, mettant en évidence la hiérarchie sociale et le formalisme de l'occasion. L'atmosphère véhicule un sens de l'importance historique et de la gravité de la prise de décision politique.
Le Congrès de Paris, tableau de Edouard Louis Dubufe dépeignant la réunion qui mit fin à la Guerre de Crimée, en 1856. Image du domaine public.

Le Concert européen était le système international qui émergea en Europe après 1815, à la fin de l’ère Napoléonienne. Il débuta avec le Congrès de Vienne (1814-1815), qui restaura les monarchies absolutistes à travers le continent et renforça le rôle de l’Autriche, la Prusse, la Russie, le Royaume-Uni et la France. Ces cinq grandes puissances commencèrent à négocier des questions internationales, essayant de contenir les désaccords entre elles et de maintenir un équilibre des pouvoirs en Europe. Leur intention était d’empêcher une puissance de s’imposer en hégémonie sur les autres, bien que chacune possédât des capacités de puissance matérielle distinctes.

Comme le soutenait Anthony Best, ce n’était pas un arrangement équitable, car il reposait uniquement sur la politique des grandes puissances — c’est-à-dire que les intérêts des grandes puissances étaient pris en compte, tandis que ceux des petits pays étaient souvent négligés.

Généra lement, les cinq dirigeants de l’Europe étaient contre les révolutions — après tout, beaucoup d’entre eux avaient été négativement affectés par la Révolution Française. En conséquence, ils étaient souvent en désaccord avec les mouvements libéraux de l’époque. Cependant, ils n’étaient pas nécessairement contre-révolutionnaires. Dans certains cas, ils ne s’opposaient pas (ou même soutenaient) les mouvements indépendantistes, tant en Europe qu’à l’étranger. Pourtant, leur tolérance venait souvent d’intérêts politiques ou commerciaux, comme affaiblir des rivaux et gagner un pied dans de nouveaux marchés. C’est pourquoi, par exemple, la Grande-Bretagne reconnut la décolonisation de l’Amérique Latine et de la Grèce.

Selon Eric Hobsbawm, en dehors des frontières de l’Europe, il n’y avait aucune prétention d’équilibre et de consensus. Tandis que les Européens sécurisaient des colonies en Amérique Latine, en Afrique et en Asie, « rien ne se dressait contre l’expansion et la bellicosité ».

Henry Kissinger et Eric Hobsbawm, parmi d’autres auteurs, soulignent que le Concert européen a été largement couronné de succès dans ce qu’il proposait : après 1815, le continent connaîtrait la plus longue période de paix qu’il ait jamais eue. Bien qu’il y ait eu des guerres, elles étaient limitées en portée et en objectifs. Beaucoup de cela peut s’expliquer par la foi dans les alliances militaires comme moyen de dissuasion contre les confrontations et la tradition de tenir des conférences diplomatiques pour résoudre les problèmes épineux.

Les Alliances Européennes

Pendant les Guerres Napoléoniennes, les puissances réactionnaires formaient une coalition après l’autre, dans une tentative de contrer l’expansionnisme français. Lorsque Napoléon fut finalement vaincu, deux alliances majeures définirent l’Europe d’après-guerre :

  • Sainte-Alliance (Autriche, Prusse et Russie) : À la demande du tsar Alexandre I de Russie, cette alliance proposait de soutenir les principes du catholicisme et de contenir les mouvements libéraux et laïques. Ses membres croyaient avoir le droit d’intervenir dans d’autres pays, en cas de mouvements révolutionnaires prenant de la force et menaçant la stabilité européenne. L’Autriche, en particulier, était reconnaissante pour ce groupe, car elle avait réussi à convaincre ses deux principaux rivaux, les Prussiens et les Russes, de s’unir contre les menaces révolutionnaires. Toutefois, certains auteurs, tels qu’Edward Burns, affirment que l’alliance n’a jamais répondu à ses attentes, bien qu’elle se soit engagée dans certaines interventions. Le Royaume-Uni, par exemple, rejeta la Sainte-Alliance parce que sa politique intérieure était plus libérale et parce qu’il rejetait l’interventionnisme.
  • Alliance Quadruple et Alliance Quintuple (Autriche, Prusse, Russie et le Royaume-Uni — plus tard la France) : L’Alliance Quadruple existait bien avant la chute de la France napoléonienne. En 1815, lors du Congrès de Vienne, elle fut formalisée par la signature du Traité de Paris, dans le but de prévenir l’agression française et d’appliquer le règlement de la paix. En 1818, lors du Congrès d’Aix-la-Chapelle, la France fut invitée à rejoindre le groupe, le transformant effectivement en Alliance Quintuple. Même si la coalition originale de quatre pays renouvela secrètement leurs engagements anti-français la même année, la vieille alliance devint sans importance.

Le Système des Congrès

Après le Congrès de Vienne, les puissances européennes inaugurèrent la pratique de tenir des réunions continentales à chaque fois qu’une crise devait être discutée. Ces congrès périodiques se tenaient dans diverses villes européennes et étaient des mécanismes importants pour la coopération entre les puissances. Néanmoins, souvent, les réunions prenaient un ton antilibéral, car elles approuvaient des interventions étrangères contre les révolutions libérales qui secouaient l’Europe pendant les années 1820, 1830 et 1840. Voici les principaux congrès de cette période :

  • Congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) : Lors de cette réunion, les pays européens discutèrent des réparations de guerre que la France devait aux vainqueurs des Guerres Napoléoniennes. Ils convinrent de renoncer à une grande partie de la dette, de mettre fin à l’occupation du territoire français et d’admettre le pays dans l’Alliance Quadruple. Dès lors, la France devait être considérée comme un membre à part entière du Concert européen. De plus, les délégués rejetèrent la proposition russe d’envoyer des troupes contre les mouvements révolutionnaires sur le continent, et ils bloquèrent une proposition britannique de permettre la fouille des navires soupçonnés de transporter des esclaves en haute mer.
  • Congrès de Troppau (1820) : Cette réunion fut convoquée par le tsar Alexandre I, mais elle eut lieu en Silésie autrichienne. Les cinq puissances tinrent des discussions sur une révolution qui se déroulait à Naples. La Carboneria, une société secrète italienne, espérait imposer un gouvernement constitutionnel dans la région, mais ils n’avaient pas pris en compte le mécontentement étranger. Au congrès, la Sainte-Alliance rédigea le Protocole de Troppau, qui prescrivait que les États révolutionnaires seraient exclus de l’ordre européen et qu’en cas de menace pour d’autres pays, une intervention s’ensuivrait. Le Royaume-Uni et la France considérèrent ce document avec méfiance, et aucun accord ne fut atteint concernant la situation à Naples.
  • Congrès de Laibach (1821) : Lors de cette réunion, les discussions concernant la péninsule italienne se poursuivirent, et une division claire se manifesta parmi les puissances. D’une part, il y avait l’Autriche, la Prusse et la Russie, qui soutenaient fermement le principe d’intervenir dans d’autres pays pour supprimer les mouvements libéraux. D’autre part, la Grande-Bretagne et la France estimaient que certaines interventions étaient justifiées, mais qu’elles devraient être définies au cas par cas. Les Autrichiens, dirigés par Metternich, voulaient envoyer des troupes à Naples, tandis que le représentant britannique s’y opposait vigoureusement. Au final, la Sainte-Alliance approuva l’intervention autrichienne et les Italiens furent vaincus.
  • Congrès de Vérone (1822) : Cette réunion traitait principalement du Trienio Liberal (Trois Années Libérales), un mouvement constitutionnel en Espagne qui minait le règne de Ferdinand VII, roi absolutiste. Tandis que la France voulait lancer une intervention contre-révolutionnaire, le représentant britannique avait pour instruction de rejeter toute intervention. À cause de cela, la Sainte-Alliance et la France proclamèrent que le Royaume-Uni violait ses obligations envers l’Alliance Quintuple, et l’opération française fut autorisée. En outre, lors de rencontres préliminaires, les délégués de Vérone discutèrent du maintien de la domination autrichienne sur l’Italie et du début de la révolte grecque demandant l’indépendance de l’Empire ottoman.

Les Défis au Concert et la Guerre de Crimée

Selon Eric Hobsbawm, le Concert européen était le plus efficace immédiatement après le Congrès de Vienne (1815). À cette époque, la prévalence de la faim, de la pauvreté, de la crise économique généralisée et la crainte de révoltes libérales ultérieures facilitaient une entente entre les puissances. Pourtant, au fil du temps, ces problèmes perdirent de leur importance et les intérêts des puissances divergèrent.

En raison de la Révolution industrielle, le Royaume-Uni devint une puissance économique et commença à affirmer sa dominance outre-mer. Alors que les Britanniques se concentraient sur l’expansion coloniale, ils avaient peu de patience pour s’engager dans les affaires européennes. À leur avis, il n’était pas nécessaire de former des alliances permanentes avec les puissances continentales, car de telles affaires pourraient être traitées au cas par cas. Cette vision du monde, combinée avec le mécontentement britannique face aux interventions successives lancées par ses voisins, motiva l’adoption de la « splendide isolation ».

Alors que le Royaume-Uni s’éloignait du continent, les intérêts des cinq puissances commençaient à diverger considérablement. Cela fut particulièrement évident durant la période de 1853 à 1856, lorsque les disputes concernant la Crimée prirent une mauvaise tournure. Le tsar Nicolas I de Russie souhaitait exercer plus d’influence dans l’Église orthodoxe et conquérir Constantinople ainsi que les détroits du Bosphore et des Dardanelles, qui relient la Méditerranée à la mer Noire. Pendant ce temps, les Britanniques ne voulaient pas perdre leurs privilèges commerciaux sur les Ottomans, qui contrôlaient Constantinople, et les Français aspiraient à contrôler les chrétiens ottomans. Tous deux espéraient limiter les ambitions russes et garantir la liberté de navigation à travers les détroits. En 1853, les tensions conduisirent à une guerre.

La cause immédiate de la Guerre de Crimée était la rivalité religieuse entre la Russie orthodoxe et la France catholique. Nicolas I publia un ultimatum, demandant que les sujets orthodoxes de l’Empire ottoman soient placés sous sa protection. Les Britanniques proposèrent une solution de compromis, mais, lorsque celle-ci fut rejetée par les Ottomans, la Russie mobilisa ses troupes. Bientôt, l’Empire ottoman, aux côtés de la Grande-Bretagne, de la France et du Piémont-Sardaigne, déclara la guerre contre les Russes.

Au début, l’Autriche proclama sa neutralité, mais elle se rétracta après d’énormes pressions des pays alliés. Ils réussirent à vaincre la Russie et à dicter les termes du Traité de Paris (1856) : un engagement à assurer la survie de l’Empire ottoman, la neutralisation de la mer Noire, et la liberté de navigation à travers les détroits. Toutefois, comme l’argumentait Henry Kissinger, l’Autriche fit le mauvais choix en abandonnant sa neutralité. Les Autrichiens négligèrent leur alliance avec la Prusse et la Russie tout en choisissant la Grande-Bretagne, qui n’était pas disposée à les défendre, et la France, qui était impatiente de saper leurs intérêts dans la péninsule italienne.

Alors que la Grande-Bretagne se tenait à l’écart du continent et que l’Autriche passait de l’amie de la Prusse et de la Russie à leur ennemie, une nouvelle génération de dirigeants montait en puissance en Europe. Des autorités puissantes telles que Napoléon III en France, Bismarck en Prusse, et Cavour au Piémont-Sardaigne n’avaient aucun intérêt à défendre l’accord de Vienne et cherchaient à faire avancer leurs intérêts nationaux respectifs. En même temps, les révolutions libérales qui éclatèrent dans les années 1820, 1830 et en 1848 ont également défié le Concert européen. Quelques décennies après la fin de la Guerre de Crimée, cet arrangement prendrait fin avec l’unification de l’Italie, la chute de Napoléon III, et l’unification de l’Allemagne, en 1871.

Conclusion

De 1815 à 1871, le Concert européen a fonctionné comme un système de politique entre grandes puissances dans lequel l’Autriche, la Prusse, la Russie, la Grande-Bretagne et la France partageaient le pouvoir et négociaient des solutions à leurs désaccords. Cet arrangement a fourni des périodes significatives de paix sur le continent, mais il a été constamment mis au défi par les mouvements libéraux inspirés par la Révolution Française. Avec le temps, les intérêts de chacune des cinq puissances ont divergé considérablement, aboutissant à la Guerre de Crimée et à l’unification de l’Italie et de l’Allemagne. En 1871, la formule originale du Concert européen ne fonctionnait plus. Certains historiens pensent que le Concert a commencé une nouvelle ère, durant jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, tandis que d’autres postulent qu’il a pris fin entièrement. Quoi qu’il en soit, pendant plus de cinq décennies, il a suffisamment bien fonctionné pour prévenir des guerres totales comme les Guerres Napoléoniennes.


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