Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’Allemagne, en tant qu’État souverain unique, n’existait pas. Au lieu de cela, il y avait une abondance de petits royaumes, chacun avec son prince : la Bavière, la Hesse, le Wurtemberg, Hanovre et le Luxembourg en sont des exemples. Il y avait aussi deux royaumes principaux, distingués par leur plus grand territoire et leur influence sur les autres : l’Autriche et la Prusse. L’histoire de l’unification allemande correspond à l’amalgame progressif des territoires de ces royaumes, dans un processus qui, bien qu’il ait été dominé par les deux puissances allemandes, a été décidé par tous les États de la région. D’une certaine manière, tous ont eu un rôle dans les guerres d’unification et dans les victoires ou échecs militaires qui ont défini ces conflits.
Origines de l’Unification
La formation de l’Allemagne moderne a eu son coup d’envoi idéologique avec l’ère napoléonienne et la cooptation de divers États européens par les Français. Pour Napoléon, en termes généraux, seules deux ressources allemandes comptaient : des hommes pour renforcer l’armée française et de l’argent pour la financer. De ce fait, il est apparu une relation prédatrice, car la France s’alliait avec les élites allemandes locales et obtenait tout ce dont elle avait besoin, aux dépens des peuples allemands. Ce mécanisme de cooptation, bien que réussi à court terme, contribuerait à former certains traits communs parmi les différents peuples allemands : aversion pour la France, nationalisme et militarisme en défense de la patrie.
Indubitablement, l’identité allemande n’était pas uniforme. Chaque population, en fonction des circonstances de son exploitation par les Français, réagissait différemment à cela — c’est pourquoi il est possible de parler de nationalismes et de militarismes, au pluriel. Cependant, la répudiation générale des Français, et pas seulement du régime napoléonien, était quelque chose d’uniforme et de spécial. Cette répudiation servait de pont pour connecter les différentes identités de la région : les peuples allemands pouvaient différer dans leurs buts et objectifs immédiats, mais la plupart d’entre eux (sinon tous) s’identifiaient en opposition à la France.
À la fin de l’ère napoléonienne, le statu quo en Europe centrale était devenu insoutenable. Il y avait une multitude de petits États, généralement faibles et incohésifs, que les architectes de l’après-guerre voyaient comme vulnérables à de futures attaques françaises. Pour les représentants diplomatiques envoyés au Congrès de Vienne, il était essentiel de garantir un arrangement qui consolidait l’influence des puissances européennes et stabilisait le Vieux Continent. Par conséquent, ils décidèrent d’éteindre certains royaumes, d’en favoriser d’autres, et de créer une Confédération allemande : une entité unique pour unir politiquement les peuples qui jusque-là vivaient avec peu d’intégration. Cette confédération serait dominée par l’Autriche et la Prusse. Son rôle était de s’assurer que l’Europe centrale serait plus homogène et moins vulnérable à la convoitise française.
En termes politiques, il y avait une plus grande intégration allemande, grâce au Diète de Francfort (un arrangement entre les monarques locaux), bien que l’Autriche y prévalait. L’intégration économique augmentait également, grâce à l’avancement du Zollverein, une union douanière dirigée par l’industrie prussienne. Malgré cela, le renforcement militaire de la région — la pierre angulaire de l’arrangement viennois — ne s’est pas produit immédiatement. À cette époque, la Prusse sous Frédéric-Guillaume IV modernisait ses forces armées, les développant de manière technique et scientifique. Toutefois, les principales préoccupations sécuritaires de l’Autriche étaient dans la péninsule italienne, où elle avait divers intérêts stratégiques ; et les autres États allemands étaient trop faibles pour défendre activement leurs propres territoires.
Au milieu des révolutions libérales de 1848, la Prusse a vu la création du soi-disant « Parlement de Francfort » : une tentative d’imposer une constitution à la monarchie prussienne et d’unifier le pays avec les autres royaumes allemands. Les rebelles furent sévèrement réprimés par Frédéric-Guillaume IV, mais leurs idées seraient réutilisées plus tard. Peu après, en 1849, sur la base des idéaux de Francfort, le monarque de Prusse proposa l’unification de la Confédération allemande en une fédération constitutionnelle, dirigée par lui. L’Autriche, qui serait marginalisée par cela, s’opposa à la proposition et convainquit les autres États du danger de l’hégémonie prussienne en Europe centrale. Par la Ponctuation d’Olmütz, un accord ad hoc, Autrichiens et Prussiens acceptèrent de résoudre conjointement l’avenir de la Confédération allemande. Sans cela, ils auraient pu opter pour la guerre.
Guerre des Duchés (1864)
Dans les années qui suivirent le pacte d’Olmütz, face à une crise de succession au Danemark, les deux puissances allemandes tentèrent même une coopération plus large. Les duchés de Schleswig et de Holstein avaient des liens historiques avec les Allemands mais étaient personnellement liés à la couronne danoise. Pourtant, à la mort du monarque danois en 1863, son successeur légitime tenta de lier institutionnellement les deux duchés au Danemark. Cela conduisit les Autrichiens et les Prussiens à considérer la revendication d’un autre successeur au trône, qui serait plus favorable aux intérêts allemands. Néanmoins, la réponse finale de la Confédération allemande fut militaire et politique : un déploiement de troupes dans les duchés et un accord entre l’Autriche et la Prusse pour définir le statu quo de la région.
Le conflit qui s’ensuivit à l’arrivée des forces étrangères dans les duchés danois est connu sous le nom de « Guerre des Duchés ». La littérature la considère souvent comme la première guerre de l’unification allemande, car elle a abouti à l’annexion de Schleswig et de Holstein à la Confédération allemande. Selon la Convention de Gastein (1865), les Autrichiens et les Prussiens partageraient la souveraineté sur les duchés, mais chacun d’eux serait administré séparément.
Guerre austro-prussienne (1866)
L’esprit de coopération de la Convention de Gastein dissimulait les tensions continues entre les deux puissances allemandes — après tout, l’Autriche se sentait de plus en plus menacée par une Prusse améliorant ses forces armées et ayant de grandes ambitions économiques pour le Zollverein. De même, la monarchie prussienne savait que ses aspirations défieraient les Autrichiens.
Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’après la Guerre des Duchés, les membres de la Confédération allemande ne se soient pas installés dans la paix. Chaque puissance allemande cherchait un soutien international pour contrer les actions de l’autre : la Prusse s’alignait avec l’Italie unifiée ; l’Autriche renforçait ses liens avec les États allemands du Sud. Le catalyseur de l’affrontement entre eux est survenu en 1866, lorsque les Autrichiens ont dénoncé les actions de leurs rivaux dans la Confédération allemande, et la Prusse a dissout cette association. Dès que l’Autriche s’est présentée comme la protectrice des petits États allemands contre la prétendue « agression prussienne », Otto von Bismarck, le chancelier de Prusse, a déclaré casus belli. Ainsi a commencé la « Guerre des Frères » (1866), la seconde guerre d’unification allemande, en Europe centrale et en Italie.
Dans la péninsule italienne, l’Autriche a réussi à combattre relativement bien, sur la base de confrontations mortelles qui ont démoralisé les Italiens — principalement parce que cela avait été le principal théâtre d’opérations pour les forces autrichiennes pendant très longtemps.
Dans le théâtre de guerre allemand, cependant, la situation était tout à fait différente. La Prusse profitait de tous les progrès techniques, scientifiques et militaires qu’elle avait construits au cours des décennies précédentes. Ses actions étaient organisées, systématiques et extrêmement efficaces, en partie grâce à une série de nouvelles armes qu’elle possédait. D’autre part, les insuffisances autrichiennes étaient évidentes : des troupes chaotiques et démoralisées étaient menées par des officiers indécis, qui prenaient de mauvaises décisions et effectuaient des retraites problématiques.
Dans la bataille de Königgrätz, lorsque les Autrichiens ont finalement eu une réelle chance de répondre à leur malheur, il était déjà trop tard. La Prusse a gagné la guerre et a imposé la création d’une Confédération de l’Allemagne du Nord (incluant les États allemands du Nord et les deux duchés danois) et le pouvoir de définir (par la force, si nécessaire) ses relations avec les États allemands du Sud.
Guerre franco-prussienne (1870-1871)
Alors que la Prusse gérait les conséquences de la guerre de 1866, qui a catapulté son pouvoir sur le territoire européen, les Autrichiens en souffraient encore plus. En raison du Compromis de 1867, l’Empire autrichien est devenu une monarchie duale, composée de l’Autriche et de la Hongrie.
Bien qu’une certaine intégration entre les forces armées de ces monarchies ait été attendue, en pratique, les Hongrois n’étaient pas disposés à soutenir des initiatives militaires sur le territoire allemand. De ce fait, le plus que l’Autriche pouvait faire pour contrer le pouvoir prussien était une alliance « en principe » avec la France, qui craignait l’hégémonie prussienne en Europe centrale. Le dirigeant français Napoléon III a également établi une autre alliance « en principe » avec le monarque italien Victor-Emmanuel, en échange du retrait des troupes françaises occupant Rome en défense de l’Église catholique.
Napoléon III souhaitait rallier l’Autriche et l’Italie en tant qu’alliés car la Prusse défiait plusieurs intérêts français. Pour accepter de reconnaître l’émergence de la Confédération de l’Allemagne du Nord, il proposa l’annexion française du Luxembourg (une zone occupée par les Français) et de la Belgique — ce qui fut promptement rejeté par la Prusse. Au lieu de cela, Bismarck convoqua une conférence internationale, où les puissances du Concert européen acceptèrent de faire du Luxembourg un territoire neutre, ce qui signifiait une défaite pour la France.
Un autre problème surgit avec une crise de succession en Espagne. Un parent du roi de Prusse envisageait de monter sur le trône espagnol, mais cela pouvait coincer la France entre deux domaines de la dynastie des Hohenzollern — l’Espagne d’un côté et la Prusse de l’autre. Ces problèmes ont poussé Napoléon III à faire une déclaration de guerre, mais cela a été reporté à plusieurs reprises, car la France était désavantagée face à une Prusse militairement sophistiquée et moderne.
La première tentative de résoudre la crise de succession espagnole fut pacifique : un ambassadeur français se rendit pour négocier avec le roi de Prusse. Bien que le monarque se soit engagé à ne pas soutenir les revendications de son parent au trône espagnol à ce moment-là, son refus de rendre cet engagement permanent devint une pomme de discorde. Dans le télégramme d’Ems, le ministre des Affaires étrangères prussien rapporta à Bismarck comment la rencontre entre l’ambassadeur et le roi prussien s’était déroulée. Toutefois, Bismarck altéra délibérément ce rapport, rendant ses termes offensants pour les Allemands et les Français. En publiant le texte modifié dans la presse, Bismarck suscita de vigoureuses protestations à Berlin et à Paris. Ainsi commença la troisième guerre d’unification allemande : la guerre franco-prussienne (1870-1871).
Pour Napoléon III, les accords avec l’Autriche et l’Italie garantissaient ces alliances, bien qu’elles n’étaient que des intentions. Cette erreur de calcul contrastait avec la capacité de la Prusse à combiner ses propres troupes avec celles des autres États allemands — à l’exception de l’Autriche —, qui avaient progressé militairement sous l’influence prussienne. Ainsi, le conflit opposait à nouveau des forces militaires bien préparées à des forces non préparées : bien que la France ait réussi à repousser certaines avancées prussiennes, son incompétence technique l’a empêchée de lancer des attaques fructueuses. De plus, même si les Français disposaient d’un large éventail de troupes, leur supériorité numérique ne compensait pas la précision des armements allemands. Ainsi, en 1870, le Second Empire français s’effondra à cause d’échecs militaires, laissant place à une république, tandis que Napoléon III devenait prisonnier de guerre.
Sous la Troisième République française, cependant, le conflit persista, et la coalition dirigée par les Prussiens atteignit les environs de Paris. À ce stade, l’équilibre des forces avait considérablement changé : si les Français étaient sur la défensive, ayant un ennemi encerclant leur capitale, les Allemands faisaient aussi face à des défis. Étant en France, les troupes allemandes devaient lutter à la fois contre la résistance parisienne, symbolisée par la Commune de Paris, et la résistance des populations rurales françaises. Cette guerre sur deux fronts posait certaines difficultés, ce qui amena la Prusse à bombarder Paris, dans le but de forcer une reddition locale. Cela ne fonctionna pas initialement, mais, avec le temps, des négociations de paix commencèrent — et elles se déroulèrent sous un déséquilibre évident entre les deux belligérants.
À la fin des négociations entre les Français et les Allemands, un cessez-le-feu et un traité de paix furent établis, le Traité de Francfort (1871), avec les points saillants suivants:
- L’unification de l’Allemagne serait officialisée, avec le couronnement du roi Guillaume Ier, auparavant de Prusse, en tant que monarque du nouveau pays.
- Les Allemands annexeraient la région de l’Alsace-Lorraine.
- La France devait payer des indemnités de guerre aux Allemands, et serait occupée militairement jusqu’à ce que cette dette soit remboursée.
- En tant que mesure pour réaffirmer une défaite que, jusque-là, les Français n’avaient pas acceptée, un « défilé de la victoire » humiliant aurait lieu à Paris.
Cet ensemble de stipulations du Traité de Francfort alimenterait, à court et à long terme, le revanchisme franco-allemand. Tandis que la nation française luttait pour rembourser ses dettes de guerre et mettre fin à l’occupation de son territoire, les Allemands achevaient leur processus d’intégration et étendaient leur activité diplomatique, sous la direction de Bismarck. Pourtant, les conséquences de la guerre resteraient latentes dans les deux États et, au cours du XXe siècle, conduiraient à de nouveaux conflits entre eux.
Conclusion
L’unification de l’Allemagne a été tardive, car elle ne s’est produite qu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Néanmoins, il s’agissait d’un processus qui s’est déroulé avec une grande rapidité, car il a uni des dizaines de petits royaumes en une période de seulement sept ans.
Après la fondation du pays, Bismarck a encore plus consolidé son pouvoir et orchestré une alliance entre nobles (Junkers) et bourgeoisie pour industrialiser le pays. À l’intérieur, la société allemande était militarisée, et l’armée détenait un prestige politique immense. Dans les relations internationales, l’Allemagne unifiée tentait de propager l’idée que le pays était satisfait du statu quo en Europe — en d’autres termes, que les Allemands éviteraient de s’engager dans d’autres guerres. Il s’agissait d’une stratégie délibérée, visant à l’isolement international de la France.
Bismarck est resté au pouvoir jusqu’en 1890, équilibrant son pays au milieu des puissances européennes. Cependant, après la mort du roi Guillaume Ier, le chancelier a été contraint de démissionner par le nouveau monarque, Guillaume II, qui souhaitait imposer une politique étrangère fondée sur l’expansionnisme territorial et militaire. Tel était l’influence de Bismarck sur la vie politique allemande que, après son retrait, les Allemands ont eu moins de succès à sécuriser leurs objectifs sur la scène internationale. Le passage de l’Allemagne de la modération au militarisme peut être compris comme l’une des causes à long terme de la Première Guerre mondiale.
Laisser un commentaire